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Ce blog traite d'un aspect particulier de la capitale belge. La ville de Bruxelles passe, à tort, pour une cité mystérieuse. Cette réputation usurpée est due à divers auteurs contemporains dont la source, en 1854, est le prolifique et fantasque Cordier, mille fois plagié depuis lors. Notre Grand-Place est prétendue alchimique. Le palais de Charles de Lorraine, au Coudenberg, est qualifié d'alchimico-maçonnique. Le Parc de Bruxelles, ou Parc Royal passe pour maçonnique. Le gouverneur Charles de Lorraine lui-même est abusivement qualifié de franc-maçon. Sa loge ultra secrète Saint-Charles se réunissait... dans la chapelle royale ! Le gigantesque Palais de Justice de Bruxelles serait lui aussi maçonnique, et son célèbre architecte Joseph Poelaert passe pour franc-maçon. Purs mythes et légendes que tout cela. Le blog Bruxelles Maçonnique démontre, à la fois par une argumentation serrée, des illustrations probantes et des documents souvent inédits, que les éléments constitutifs de ces pseudos mystères ne sont qu'imaginaires, inconsistants et affabulatoires. Il existe néanmoins d'authentiques symboles maçonniques qui jalonnent la capitale de l'Europe. Il faut savoir les décrypter, comme ceux du château royal de Laeken. Comme ceux du Sénat et du Parlement ; ce blog nous en révèle le sens caché, avec précision.

Bruxelles maçonnique : réfutation des critiques émises par Joël Goffin

Ce qui est vrai se doit d’occulter ce qui est faux.

 

Exposé des motifs

Le site Bruges-la-morte.net détaille une série de réfutations, importantes ou accessoires, de mon livre Bruxelles maçonnique, publié en 2007 par les éditions Cortext, et réédité en 2012 aux éditions Télélivre, Jacques Rouben, à Bruxelles. Cette réédition fut cautionnée et préfacée par le bourgmestre de la Ville de Bruxelles. Mon contradicteur a éprouvé le besoin de donner à ses considérations une large publicité, et se répand sur divers sites Internet. Je me dois donc d’y répondre.

 

Je ne retiendrai du document de Joël Goffin, qui est loin de manquer d’intérêt, que les principaux points avec lesquels je suis en désaccord, le plus important d’entre eux constituant la thèse qu’il résume en sa conclusion que voici :

 

« la construction du Parc Royal de Bruxelles s’apparente à un investissement de l’espace public par un franc-maçon de haut rang, en l’occurrence le prince de Starhemberg. Il faut y voir un jeu (sic) intellectuel hautement spéculatif allié à un désir de prestige personnel. Et non un parcours initiatique au sens strict ». On peut en déduire ceci : ce n’est pas Charles de Lorraine qui est à l’origine de la construction du Parc de Bruxelles, et ce dernier est ornementé de symboles maçonniques introduits par Georg Adam von Starhemberg.

 

Cette thèse, historiquement erronée, ne peut obtenir mon agrément, et je vais tenter de démontrer, et de confirmer à ceux et celles que cette controverse peut intéresser, que le Parc de Bruxelles n’a aucune connotation maçonnique que ce soit, et que, selon mes informations, le prince von Starhemberg ne put en rien être l’auteur d’une initiative de cette nature.

 

Nous commencerons la démonstration par quelques points génériques, et poursuivrons, selon l’usage, par une revue des points spécifiques appuyant ma réfutation des arguments utilisés par Joël Goffin.

 

A--Points génériques : les analyses de spécialistes en urbanisme et d’historiens du XVIIIe siècle.

 

  • Christophe LOIR : « Bruxelles néo-classique ; mutation d’un espace urbain, 1775-1840 » éditions CFC, Bruxelles, 2009. L’auteur est historien, historien de l’Art, historien du Christianisme, docteur en philosophie et lettres et chercheur qualifié au CNRS. Extraits des pages 101-102 :
     
    Citation : « Des enfants personnifient les Arts et les Sciences. Ces deux groupes, sculptés par Gilles Lambert Godecharle, représentent d’un côté, le Commerce et la Navigation, et de l’Autre, les Arts et les Sciences […]
     
    « Les médaillons présentés par ces deux groupes sculptés mettent l’accent sur le rôle que joua le prince de Starhemberg, ministre plénipotentiaire, dans la réalisation du Quartier Royal. Né à Londres en 1724, ayant exercé de hautes fonctions administratives tant à Lisbonne qu’à Madrid,   à Paris et à Vienne. Georg Adam de Starhemberg possède une vaste culture urbaine. Ce haut-fonctionnaire cosmopolite s’est probablement promené dans les squares londoniens, sur les places royales parisiennes et dans les parcs viennois.
     
    « Nous l’avons vu, un des enfants du groupe sculpté de droite montre au promeneur un médaillon sur lequel est représenté le plan du parc de Bruxelles. Il s’agit d’un plan orienté au nord et déroulé aux deux tiers. Il représente non seulement le Parc mais également les artères qui l’entourent.[…] Grâce au plan, on découvre la régularité de cet espace rectangulaire – 440 mètres sur 305 mètres à l’origine – présentant, côté nord, deux angles coupés. Plusieurs larges allées rectilignes le structurent, des allées de pourtour longent les allées du Parc, formant, à l’intérieur, une patte d’oie depuis le rond-point : une allée axiale est en effet flanquée, de part et d’autre, d’une allée biaise et deux allées transversales coupent cette patte d’oie, selon un axe est-ouest ». Fin de citation.
     
  • Xavier Duquenne : auteur de deux livres importants, dont l’un consacré au château de Seneffe, et couronné par l’Académie française, l’autre au Bois de la Cambre. L’ouvrage Le Parc de Bruxelles, édité par CFC éditions, Bruxelles, 1993, constitue une étude pointue du Parc et comporte de nombreux documents iconographiques d’un haut intérêt.  Extrait de la page 50, Ch. III :
     
    « C’est dire aussi, à l’encontre d’autres opinions, qu’il ne provient pas non plus d’une volonté d’y représenter des emblèmes maçonniques, que l’on peut y voir aisément – notamment le compas, lequel est dû avant tout aux contraintes susdites et à la structure classique de la patte d’oie. »
     
  • Georges Renoy : narrateur prolixe de Paris et de Bruxelles, enseignant, écrivain, journaliste et collectionneur de tout ce qui concerne Bruxelles dont il a lu tout ce qui s’écrit à son propos. Il est préfacé ici par l’architecte Victor G. Martiny, membre de l’Académie, et ancien Grand Maître du Grand Orient de Belgique, qui cautionne cette œuvre « que l’on abandonne que difficilement une fois commencée » écrit-il. Georges Renoy fut un libre-exaministe convaincu. Extrait de son ouvrage : Bruxelles Vécu Quartier Royal, éditions Rossel 1980. L’iconographie est abondante et souvent inédite.

Citation :

« Trois petits points et puis s’en vont.

« Le tracé du Parc de Bruxelles, conçu à la fin de ce que l’on a coutume d’appeler le Siècle des Lumières, a donné lieu aux interprétations les plus fantaisistes, particulièrement de la part de quelques marginaux de l’Histoire qui ne sont heureux que si une pierre, aussi anodine soit-elle, se trouve chargée de mystère et de symbolisme occulte.

Pour ces maniaques de l’ésotérisme, une balade du temple carré de Saint-Jacques au grand bassin circulaire, en passant par l’octogone du premier carrefour, permet la réalisation de ce vieux rêve qui hante la nuit des chercheurs : la quadrature du cercle.

« Grâce au plan gravé dans le médaillon de pierre du groupe des Arts, l’ « initié » découvre, avec la joie que l’on devine, les outils symboliques de la Franc-maçonnerie spéculative : équerre, compas, maillet, niveau, truelle. Tout un arsenal d’accessoires de constructeurs de cathédrales réduits à transmettre les secrets de la tradition par le truchement des allées d’un parc public. Savent-ils, ces décortiqueurs de plans, qu’en entrant dans l’Ordre, le futur Apprenti fait le serment « de ne jamais graver, tracer ou buriner aucun caractère, par où les secrets de la Maçonnerie puissent être dévoilés » et qu’il préfèrerait « avoir la gorge coupée plutôt que de manquer à sa parole » ?

« Mais sans doute les rangs du Grand Orient de France, tout nouvellement créé en 1773, recèlent-ils des traîtres, parjures, au nombre desquels figurent les Guimard, les Barré, ces petits architectes de l’univers… Rêver pour rêver, autant aller jusqu’au bout.

« Dommage cependant que le théâtre du Parc n’était pas prévu dans le pan initial et que cette césure dans le périmètres du Parc, qui permet aujourd’hui d’y découvrir une équerre, n’existait pas à l’origine. De toutes manières, si équerre il eût fallu, elle se serait trouvée ailleurs et autrement disposée. Au fait : quid de l’étoile flamboyante, des trois points, du pavé mosaïque, du Delta, de la chaîne d’union… Et quelle est cette perpendiculaire, sans triangle, inscrite dans un polygone irrégulier ?

« Il ne suffit pas de compiler le petit Léo Taxil illustré pour s’en aller à la découverte de l’Art Royal, et il y a très gros à parier que le Parc de Bruxelles ne soit que ce qu’il est : une merveilleuse promenade urbaine au cœur d’un quartier digne d’elle, plutôt qu’un temple maçonnique en plein air.  Ce qui n’est déjà pas si mal.

« Quant à vouloir découvrir à tout prix les symboles qui permettent aux Maçons de se reconnaître entre eux, il doit être possible, en cherchant bien, d’en apercevoir dans le plan terrier du Vatican… ».  Fin de citation.

 

 

Conclusion de ces trois extraits venant de chercheurs qualifiés, et il en est encore bien d’autres : ils sont édifiants et nous pourrions arrêter ici les réponses documentaires que je fais aux allégations de mon contradicteur. Sans doute est-il illusoire d’imaginer le prince von Starhemberg traçant les plans d’un parc maçonnique, qui plus est situé aux Pays-Bas autrichiens. Mais on ne convainc pas ceux qui ont la foi. Passons donc aux arguments spécifiques portant cette fois sur des points d’histoire, selon les méthodes éprouvées de la critique historique et selon des sources contrôlables et non imaginaires.

 

B- Réfutation argumentée des points particuliers soulevés par Joël Goffin à propos du Parc de Bruxelles et de Charles de Lorraine

 

Voyons d’abord les sources bibliographiques belges portant sur la Maçonnerie des Pays-Bas autrichiens. Trois auteurs, dits « historiens », traitent de l’histoire de la maçonnerie aux Pays-Bas autrichiens :

 

Adolphe CORDIER 1854 ; médecin militaire, historien « par vocation ». Membre de la Parfaite Union à Mons, Grand Orient de Belgique. Commet d’innombrables erreurs et ne donne jamais ses sources. Se réfère à des documents introuvables et sans doute inexistants. Est la seule et unique origine de la fable de Charles de Lorraine franc-maçon. Est recopié, hélas, par ses deux successeurs.[1]

 

Paul DUCHAINE : 1903. Avocat et membre du Grand Orient de Belgique. S’appuie sur Cordier, mais le critique sévèrement à l’occasion. Beaucoup plus fiable que Cordier, il s’y réfère néanmoins souvent et reprend à son compte des fables non établies. A cependant découvert, dans des archives diverses, nombre d’éléments historiques importants. Préfacé par le comte Goblet d’Alviella, qui n’était pas exempt d’une certaine naïveté, en dépit de ses importantes fonctions maçonniques et universitaires.

 

Bertrand VAN DER SCHELDEN. Moine capucin mineur, écrit à Louvain en 1923 ; se base sur ses deux prédécesseurs. Compulse et analyse des tonnes d’archives et apporte certains éléments intéressants à l’histoire de cette période. Est néanmoins hostile à l’Ordre maçonnique, ce qui n’apparaît ostensiblement que dans sa conclusion.

 

En bref : le plus fiable des trois est Duchaîne. Cordier ne l’est pas du tout, car il écrit en 1854 et, en inventant et « maçonnisant » sans le moindre document le « frère » Charles de Lorraine, vise à restaurer le prestige du Grand Orient de Belgique.

 

[1] Je possède une copie anastatique d’un exemplaire de l’Histoire de l’Ordre Maçonnique de Cordier qui a appartenu à Gustave Jottrand et qui fut impitoyablement annoté par ce dernier.  Jottrand était docteur en droit et en sciences politiques et administratives de l’ULB ; avocat à Bruxelles ; VM des Amis Philanthropes ; membre de la loge  VAUPRE ; co-fondateur et secrétaire de la Libre Pensée ; administrateur de l’ULB ; président de la Ligue de l’Enseignement.  Un pur, un dur. Il ne pardonne rien à Cordier.

Ce dernier avait en effet  perdu les reconnaissances internationales de la maçonnerie universelle, à cette date,  pour n’avoir pas respecté l’interdiction traditionnelle portant sur les discussions théologiques et politiques en loge ouverte. La « maçonnisation » hagiographique de Charles de Lorraine, comme celle du « frère »  Léopold 1er plus tard, et pour des raisons similaires, sont des inventions et des créations maçonniques à visées  politiques.

***

 

Page 1 note 3 : « Pierre Chevallier cite une lettre du marquis de Tavannes du 9 octobre 1738 qui prouverait la qualité de Maçon de Charles de Lorraine, ou pour le moins, son intérêt pour l’Art Royal ».

Ma réponse :

Voici ce texte et mon analyse. Lettre du marquis de Saulx-Tavannes adressée au frère Bertin du Rocheret et datée du 9 octobre 1738 :

« J’ay esté fort édifié du grand Duc [ François de Lorraine ] qui est très bon masson et j’aurais reçus icy le prince de Waldeck, le prince Charles de Lorraine et beaucoup de généraux si nous avions ésté le nombre requis. Mais j’en attends un et Milord Grafford qui est icy et moy nous recevrons le prince de Waldeck… ».[1]

 

« Reçus » signifie, à l’époque, « initiés », comme on dit hélas de nos jours. Le gazetin du 30 décembre 1739 annonce, par exemple, une prochaine « cérémonie de réception » dans la Loge du Roy. On « reçoit » donc dans l’Ordre les candidats à l’initiation, et le marquis regrette de ne pas avoir pu réunir le nombre de maçons voulu afin d’initier [recevoir] le prince Charles de Lorraine. Cet extrait ne prouve donc nullement que Charles de Lorraine était maçon ; il prouve en réalité exactement le contraire !

 

Page 2 : « la Stricte Observance[2] tenait le haut du pavé et n’avait pas de compte à rendre aux autres obédiences européennes ».

Ma réponse :

Que signifie clairement l’expression selon laquelle ce rite, cette obédience, ce système, cet ordre de la SO « tenait le haut du pavé » ? Aurait-il eu une sorte de prééminence sur les autres systèmes maçonniques autrichiens et allemands ? De quoi s’agit-il en réalité ?

La Stricte Observance germanique est un phénomène qui est né, s’est développé et est mort de 1751 à 1782. Cette obédience a donc duré 31 ans et guère plus. On peut distinguer quatre périodes dans la vie de la SO[3] : citation :

  • De 1751 à 1763, en Saxe, où un petit lobby de 20 nobles crée deux loges et un chapitre à l’initiative du baron von Hund ; ce lobby est basé sur le mythe des Templiers ;
  • En 1763, le groupe initial se renforce de loges et chapitres créés durant la guerre de Silésie et la guerre de Sept ans. Ses 200 membres sont des nobles appauvris et endettés par les guerres  qui espèrent retrouver leur fortune par des « connaissances  secrètes » telles l’alchimie ;
  • Dès 1772 commence l’aristocratique  période des « princes ». L’obédience atteint 2000 membres. Le fondateur von Hund est écarté et meurt en 1776. Le système pratique une sorte de mysticisme crypto-catholique, avec le duc de Brunswick. L’obédience s’étend à Strasbourg et à Lyon.
  • De 1776 à 1782, les princes allemands, suédois et danois se querellent vivement. Grand mélange de politique et de « connaissances secrètes ». Les hauts aristocrates qui composent l’obédience se nomment : Frédéric Guillaume II de Prusse, Brunswick qui est le beau-frère de Frédéric II, Charles de Sudermanie, frère du roi de Suède et futur roi, Charles de Hesse qui est l’oncle du roi de Danemark. [ Nous y retrouverons Albrecht Kasimir von Sachsen-Teschen, i.o. Eques a Tribus Stellis Coronatis, constructeur du château de Laeken et gouverneur des Pays-Bas autrichiens à la suite de Charles de Lorraine ].  J.B.Willermoz est fier de côtoyer ces gens-là ; il incorpore des éléments propres à la SO dans son système rectifié, nous y reviendrons.
  • En 1782, au Convent de  Wilhelmsbad, tout se termine ; Brunswick réunit ce beau monde et leur pose des questions fondamentales ; il reçoit des réponses vagues ; à vrai dire, cela n’intéresse plus grand ‘monde.
  • La SO meurt donc à Wilhelmsbad en tant que formation structurée. Elle disparaît, sauf au Danemark, et France et en Suisse.
  • La fiction de la transmission templière a disparu, mais elle survit, mutatis mutandis, sous le nom du Rite Ecossais Rectifié. La maçonnerie bleue classique n’a presque pas été touchée par ces péripéties. Fin de citation.
     
    Il me paraît donc abusif de prétendre que la SO ait tenu un quelconque « haut du pavé » durant sa très brève et très sélective existence. Mais il est encore plus grave d’écrire, à mon avis, que « la SO prendra une orientation nettement occultiste et mystique avec l’adoption du Rite Ecossais Rectifié ».
     
    Il faut bien reconnaître que cette assertion est fausse, car il s’agit exactement de l’inverse ! C’est le rite de Willermoz, le RER,  qui adoptera en partie les rituels de la SO[4]. Les célèbres devises des trois grades vétérotestamentaires – adhuc stat, dirigit obliqua et in silentio et spe fortitudo mea – font partie du patrimoine de la SO, et Willermoz les a « importés » dans le rite qui est sa création à partir d’éléments divers. Ces beaux rituels se pratiquent encore aujourd’hui, tels quels et, pour les puristes, sans la moindre altération depuis le XVIIIe siècle.
 

[1] Bibl. Epernay, ms.125, f° 711.

[2] Joël Goffin écrit comme tant d’autres : « Stricte Observance Templière », ce qui est moderne, inusité à l’époque et donc erroné comme appellation. Il faut consulter le site Internet : Directoire National Rectifié de France-Grand Directoire des Gaules, pour se familiariser avec ce qui n’est nullement un faux templarisme allemand.

[3] Condensé d’une note de Pierre Noël, non datée. Il n’écrit jamais « templière »et sait très bien de quoi il parle.

[4] « De la Stricte Observance au Rite Ecossais Rectifié », Pierre Noël, Acta Macionica n°5, 2005, pp. 99-150. Voir aussi sur Internet  la Stricte Observance-Ordo ab Chao par Alain Bernheim, qui lui aussi est définitif sur cette fausse attribution templière.

Quant à l’affirmation faite par Joël Goffin, selon laquelle « l’Ordre des Chevaliers Teutoniques possédait plus que des affinités avec la Stricte Observance », mon correspondant de 2007, le Professeur Bernhard Demel O.T. m’avait certifié que jamais la moindre connexion n’avait existé entre l’Ordre Teutonique et l’Ordre Maçonnique. Le Père Demel O.T. est l’ancien archiviste de l’Ordre en Autriche, et est mort au début de 2017. Il était docteur en théologie, et, depuis 40 ans, a exercé la direction des archives viennoises de l’Ordre. Il fut fondateur de la Commission Historique Internationale pour l’étude de l’Ordre et participait aux conférences « Ordines militares » de l’université de Torun  en Pologne.

C’est en ces respectables qualités qu’il écrit : «  Dans sa lettre annonçant son élection [comme Grand Maître de l’Ordre Teutonique] à l’empereur François, le 4 mai 1761, Charles-Alexandre précise que conformément aux statuts et à l’antique tradition, mais non sans tristesse, il restitue la grand-croix de l’Ordre militaire à Marie-Thérèse dont il avait été décoré lors de la première promotion du 7 mars 1758, et également sa Toison d’Or, qu’il avait reçue le 5 avril 1729 [1]».

 

Les statuts de l’Ordre Teutonique interdisaient en effet au Grand Maître d’appartenir à tout autre ordre que l’Ordre Teutonique, ce qui inclut l’Ordre maçonnique. Considérons les dates : Charles-Alexandre renvoie sa Toison d’Or le 4 mai 1761. Cordier[2] annonce la pseudo-création, aux Pays-Bas autrichiens, par Charles-Alexandre, de la loge maçonnique Saint-Charles le 7 mai 1762. Peut-on imaginer un Grand Maître renier à ce point sa parole et témoigner d’une hypocrisie aussi prononcée que celle-là, à un an d’intervalle ?!

***

 

Le point suivant qui mérite un commentaire précis : «  les principaux protagonistes du Parc de Bruxelles ». Mon contradicteur écrit, en substance, que Charles de Lorraine n’est pas le commanditaire direct de l’architecte du Parc, Guimard, et que c’est Georg Adam von Starhemberg qui « était à la manœuvre » dès le début.

 

Certes, Starhemberg, en vertu de son expérience antérieure en matière d’urbanisme, surtout à Paris, reçut une délégation de pouvoirs de Charles-Alexandre qui savait fort bien ce qu’il voulait pour embellir sa capitale. J’ai écrit ceci, en page 19 de Bruxelles maçonnique :

« Le gouverneur général fut un infatigable bâtisseur ; il collectionnait un grand nombre de plans de toute provenance, et faisait toujours une esquisse personnelle afin de guider les architectes travaillant pour lui ».

 

Ce n’est pas Jean van Win qui affirme ceci : c’est l’architecte Victor G. Martiny, à la page 44 du catalogue Europalia 87 Österrreich. On peut imaginer ce qu’étaient les esquisses du Français Charles de Lorraine, lui qui nourrissait une passion pour son pays d’origine, la France, et pour la grandeur des créations monumentales dues à Louis XIV. Donc, si par délégation spéciale, Starhemberg « décide » d’élaborer le projet du futur Quartier Royal et du Parc, c’est en osmose et avec la bénédiction de son patron Charles de Lorraine.

 

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de Versailles dans la psychologie du Français Charles de Lorraine L’entrée du château a concrétisé, dans l’espace et dans son plan d’implantation, l’éventail, le trident, la patte d’oie, c'est-à-dire toute la terminologie métaphorique qui sert de plan au Parc de Bruxelles. De plus, on retrouve cette représentation architecturale dans un grand nombre de villes du monde, en Europe comme aux Etats-Unis. Il suffit de laisser sa souris d’écran se promener sur les sites Google Earth dans les différents pays et villes que j’énumère dans mon livre, pour découvrir, avec ravissement, la reproduction universelle de ce véritable archétype de la notion de pouvoir,  de rayonnement et d’autorité centralisatrice : la patte d’oie.  Ne sommes-nous pas au siècle des Lumières et des despotes dits éclairés ?! Il est très émouvant de voir apparaître sur Google Earth, en pointant sur Versailles et en agrandissant les parvis du château, l’exact dessin du plan du Parc de Bruxelles. Trois allés, en patte d’oie.

 

G.A. von Starhemberg remplit sa tâche avec compétence et enthousiasme. Il fait appel à Guimard, architecte français installé à Bruxelles depuis 1761, qui se plaça alors sous la direction de l’architecte Faulte ; ce dernier travaille déjà pour Charles de Lorraine. Guimard fait encore appel à Joachim Zinner, jardinier-paysagiste de talent.

 

On imagine très mal Starhemberg essayant de convaincre tous ces grands et talentueux professionnels d’utiliser des crayonnages « maçonniques », griffonnés par lui, afin d’incorporer, dans le plan du Parc, et dans un quartier éminemment aristocratique,  des outils d’ouvrier-maçon. Ces architectes-là ne vont pas, tous,  se laisser imposer des « plans  maçonniques » par un non-professionnel, fût-il Starhemberg.

 

Et dans quel but ? Et à destination de qui, du reste, ces illustrations ? A destination des maçons belges ? Starhemberg connaît l’aversion prononcée de l’impératrice pour tout ce qui est franc-maçonnerie. Elle insistera fortement auprès de Albrecht von Sachsen-Teschen pour « qu’il laisse là toute cette franc-maçonnerie ». Mais Starhemberg n’a aucune espèce de connexion avec les loges des Pays-Bas autrichiens. Aucun des collaborateurs autrichiens et francs-maçons de Charles-Alexandre, résidant à Bruxelles,  n’est mentionné sur aucun des tableaux de loges « belges » de l’époque, même pas en la très aristocratique Heureuse Rencontre, où l’on ne trouve qu’un Kaunitz, colonel propriétaire d’un régiment de Kaunitz ; rien à voir avec les fonctionnaires autrichiens en poste à Bruxelles.

 

[1] In : « Charles Alexandre de Lorraine : l’homme, le maréchal, le grand maître », catalogue Europalia 87 Österreich.

[2] Faut-il rappeler que Cordier est la seule et unique source de la fable de Charles de Lorraine franc-maçon, recopiée par nombre d’auteurs, de pseudo-historiens et de fabricants de dictionnaires peu scrupuleux.

On ne se « visite » ni ne se fréquente entre maçons des deux nations, et nous possédons, émises sans nuances par Charles de Lorraine, des appréciations très négatives déclarées au cardinal archevêque von Frankenberg, à propos de la franc-maçonnerie. Citons le cardinal : «  j’ai cru m’apercevoir à la même occasion que Son Altesse Royale [Charles de Lorraine] pensait de même et traitait les conventicules [maçonniques] avec le même mépris qu’elles méritent [1]». Rappelons une fois encore, car l’argument est capital,  que l’impératrice  Marie-Thérèse déteste cordialement les francs-maçons, en dépit de l’attachement à la maçonnerie de son mari l’empereur François. Mais l’impératrice ne possède-t-elle pas, disait-on, un niveau d’intelligence nettement supérieur à celui des deux Lorraine…

 

En résumé, et d’après Xavier Duquenne, qui s’appuie exclusivement sur les travaux célèbres et réputés de Henne et Wauters, de G. Des Marez et P. Saintenoy, plus sur ses propres recherches effectuées dans les Archives Générales du Royaume, plus sur Belgien– Berichte und Weisungen, aux Archives de l’Etat à Vienne, voyons ce qu’il en est réellement des responsabilités effectives dans la conception et l’exécution des travaux du Parc :

 

« Le fondateur du quartier, au plan politique, fut le prince de Starhemberg. Ce dernier avait un grand prestige. En 1773, il entreprend d’élaborer le projet de rénovation du nouveau quartier. Il désigne son bras-droit, Ange-Charles de Limpens. L’architecte de l’ensemble fut Barnabé Guimard. C’est lui qui présente à Marie-Thérèse le projet de remaniement du Parc [2]; Marie-Thérèse l’approuve en juillet 1775, après en avoir réglé et distribué son financement.

Le quartier appartient au mouvement international du retour au classicisme de l’antiquité romaine, marqué par l’influence française. La configuration est déterminée par la disposition du terrain.

C’est Guimard qui est l’auteur des plans du Parc. Limpens entretient Starhemberg de la « grande difficulté du projet de Guimard ».

Ce dernier se qualifie « d’architecte auteur des plans de la place Royale et du dessin du Parc ».

 

 

 

 

 

Les pseudo-relations entre les maçonneries « belge » et viennoise

 

Il est très utile de développer cet aspect particulier des relations « obédientielles », qui, selon Paul Duchaîne, sont, à l’époque considérée,  très différentes de ce qu’elles sont au XXe siècle, et a fortiori au XXIe siècle. Méfions-nous donc de nos conceptions d’aujourd’hui lorsque nous examinons nos frères d’il y a à peu près 237 ans. De plus, nous pouvons ici faire confiance au fouilleur d’archives que fut le maçon Duchaine, dès lors qu’il ne s’inspire pas, en l’espèce,  de Cordier. Il est important de situer correctement le prince et franc-maçon Starhemberg dans le milieu maçonnique entourant Charles de Lorraine. Car nous allons, de la sorte, réduire son apport « maçonnique » dans la conception du Parc à ce qu’il fut, en réalité. Soit, à mon analyse, et à celle des urbanistes, un apport inexistant car purement imaginaire. Voyons Duchaine :

 

Page 228 : « il y avait peu de points de contact entre les Loges belges et les Loges viennoises ; les relations étaient rares. Ni les unes, ni les autres ne désiraient sincèrement resserrer les liens très lâches qui les unissaient et nul n’en sentait le besoin ».

Page 234 : le baron von Seckendorf[3] écrit : « Les Loges belges n’ont aucune idée, même vague, de la Maçonnerie autrichienne et de ses tendances […] on nous tient ici soigneusement à l’écart de toute correspondance ».

Page 237 : «  Le Grand Orient de Vienne (sic) connaissait bien peu la maçonnerie belge [suit la liste des loges]. Cette liste montre combien l’organisation de la Maçonnerie belge était peu connue à Vienne, et prouve surabondamment que la Grande Loge Nationale autrichienne se désintéressait à peu près complètement des Pays-Bas ».

Page 245 : « La Franc-Maçonnerie, à la fin du XVIIIe siècle, est si éloignée de notre conception actuelle [en 1911]… Les pseudo-maçons, si répandus à cette époque-là, se livraient souvent à des pratiques que l’on ne peut qualifier autrement.

Les circulaires des 18 et 21 mars 1783 de la Grande Loge Provinciale de Francfort et de Wetzlar […] portaient « que les Frères de cette réforme renonçaient à toute spéculation magique, cabalistique, templière et autres folies de la Stricte Observance, pour s’en tenir à la Franc-Maçonnerie dans la pureté de son institution et aux règlements de la Grande Loge d’Angleterre[4] décrétés en 1723 ». Fin de citations.

 

 

[1] Duchaîne, op.cit. p. 51.

[2] Jamais elle n’aurait approuvé un plan du Parc « maçonnique ».

[3] Chargé de l’application des édits de Joseph II aux Pays-Bas autrichiens ; membre de la S.O. à Vienne et à Prague ; aide de camp de Saxe Teschen ; président du Comité chargé de réorganiser la maçonnerie belge ; sa proposition est rejetée par les Belges en 1787 ; son rôle se termine en 1789 lors du départ précipité de Saxe Teschen vers l’Autriche, lors de la Révolte des Belges contre l’autocratisme de Joseph II.

[4] Ne deviendra Grande Loge Unie d’Angleterre qu’en 1813, par l’union des grandes loges des Anciens et des Modernes, face au péril napoléonien.

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